Tribune publiée par L’Humanité, le 2 septembre 2017, Jérôme Sainte-Marie


Le trait majeur du moment électoral qui s’est achevé dimanche dernier est sa cohérence. Etape par étape, scrutin après scrutin, on constate un alignement à peu près parfait des votes, des discours et des hommes. Chacun trouve peu à peu sa place, et la rationalité du réel devient visible à tous.

Que doit-on entendre par cela ? Non pas, bien sûr, qu’il y aurait une intention exprimée par un mystérieux « électorat français », lequel équilibrerait savamment son vote entre les législatives et la présidentielle, doserait son abstention et composerait une Assemblée nationale avec un groupe majoritaire, mais pas trop. Très fréquentes, les sornettes de ce genre ne révèle rien d’autre que la paresse de l’analyse. Tout autre chose est d’essayer de comprendre le choix des électeurs, et non de « l’électorat », et de le faire en considérant tout ce qu’il y a de collectif dans leurs choix individuels. En d’autres termes, c’est par l’utilisation des moyens abondants de la sociologie électorale que l’on peut décrypter le sens de l’événement politique en cours.

Dès lors, si l’épisode parlementaire joue un rôle très important pour l’avenir, le seul moment où la volonté politique des Français s’est pleinement exprimé fut le 23 avril. A partir du résultat du premier tour, un engrenage était lancé qui, comme on l’écrivit alors, rendait inéluctable l’élection d’Emmanuel Macron, puis son obtention d’une large majorité à l’Assemblée nationale. Le seul point de surprise, mais il fut considérable, a été l’ampleur de l’abstention. Au vote de classe du 23 avril a succédé l’abstention de classe du 11 juin. Dans ces conditions, avec un décrochage massif des jeunes – seuls un tiers des moins de 35 ans ont voté au premier tour des législatives, au lieu des deux-tiers des 60 ans et plus – et des catégories populaires par rapport au vote, qu’une trentaine de députés FI ou PCF aient été élus constituent un petit exploit.

Le tableau d’ensemble est donc celui d’un réalignement électoral majeur, sur fond de rapport à la mondialisation. Le 23 avril, les catégories populaires se sont massivement détournées, par rapport à cinq ans auparavant, des candidats issus des partis dits de gouvernement, cependant que les catégories aisées et les retraités convergeaient sur les votes Macron et Fillon. C’est une avancée considérable. Pendant longtemps en effet, le Parti socialiste et le RPR, puis l’UMP, avaient rallié des cohortes d’ouvriers et d’employés, en activité ou à la retraite, sous le couvert des signifiants « gauche » et « droite ». Le Front national a eu, qu’on le veuille ou non, un rôle moteur dans la destruction de ce théâtre. En imposant comme une certitude la perspective de sa présence au second tour, Marine Le Pen a facilité contre elle la réunification politique de la bourgeoisie. Emmanuel Macron a su saisir à son profit personnel cette dynamique, mais les convergences étaient en route depuis des années, en raison notamment de l’affaiblissement parallèle des partis dits de gouvernement.

A partir de là, l’élément de surprise est l’affirmation d’une voix alternative à celle du Front national pour construire une expression autonome des catégories populaires. L’étonnante montée des intentions de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon à partir de la mi-mars s’est accompagnée d’un mouvement de politisation de longue portée. Un premier effet en est une représentation parlementaire qui accentue la possibilité d’une nouvelle hégémonie idéologique de ce courant. L’exécutif fait désormais face à une opposition capable de fait la jonction avec le mouvement social, contrairement au Front national. De manière plus générale, la recomposition politique rend la société française lisible pour elle-même, tant les clivages partisans se sont rapprochés des lignes de fracture sociales. Le potentiel de conflictualité, voire de violence, d’une telle situation est considérable.