Macron – Août 2017

Interview réalisée par Arnaud Folch pour Valeurs Actuelles, publiée le 24 août 2017


VALEURS ACTUELLES – Emmanuel Macron est plus impopulaire que Nicolas Sarkozy et même François Hollande après la même durée de mandat avant lui. Y avait-il dans sa campagne, et dans son élection, des éléments de fragilité qui pouvaient le laisser prédire ?

Jérôme SAINTE-MARIE – L’évolution de la popularité présidentielle renvoie d’abord à l’étroitesse de sa base électorale. Par le jeu des ricochets électoraux, les 24% de suffrages exprimés au premier tour se sont transformés en une victoire écrasante à la présidentielle, puis une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pourtant, seuls 32% des électeurs originels d’Emmanuel Macron déclaraient en avril dernier le choisir pour ses propositions politiques, au lieu de 50% pour la moyenne des votants. L’abstention massive, historique, aux élections législatives a fait que les candidats de la République en Marche n’ont convaincu que 15,4% des inscrits au premier tour. Tout cela n’affecte pas la légitimité du nouveau pouvoir, mais indique les limites de son assise démocratique.

Cette disgrâce dans l’opinion est d’autant plus impressionnante qu’il avait semblé connaître à ses débuts un vrai état de grâce, très largement saluée par les médias. Celui-ci n’était-il qu’un écran de fumée ?

Emmanuel Macron avait donc à élargir sa base politique. Il l’a fait avec brio lors de la formation du gouvernement d’Edouard Philippe, qui a prouvé sa volonté de construire une force réformatrice intégrant une composante de droite. Les personnalités qui l’ont rejoint, et plus encore la nature des postes ministériels qu’elles ont reçus, a valu au nouveau Président l’intérêt de nombreux sympathisants de droite. C’est ainsi que les sondages ont enregistré dans un premier temps une popularité majoritaire du Chef de l’Etat comme du Premier ministre.

D’ordinaire, les Français se montrent plutôt compréhensifs vis-à-vis de l’exécutif en période estivale, l’impopularité record de Macron durant cette période témoigne-t-elle d’un rejet plus profond que celui qu’ont eu à connaître plus tardivement ses prédécesseurs ?

Deux éléments ont contribué à cette érosion rapide. Tout d’abord, l’annonce du « coup de rabot » budgétaire a, par sa généralité, inquiété des Français de toutes catégories sociales, ou presque. L’annonce de la hausse de la CSG a particulièrement déçu les retraités, qui rappelons-le rassemblent aujourd’hui le tiers des inscrits sur les listes électorales. Sur ce fond, le comportement du Chef de l’Etat a suscité une perplexité grandissante. Fort de l’idée que les Français voudraient un roi – il a eu des déclarations curieuses à ce sujet avant son élection -, Emmanuel Macron a personnalisé à outrance la communication présidentielle, confondant l’exaltation de son individualité avec l’incarnation de la fonction. La composition de la photo officielle est éloquente à cet égard. Ceci a éveillé dans l’opinion une prévention profonde.

Circonstance aggravante pour Macron : il est de plus en plus rejeté alors que le principal parti d’opposition, Les Républicains, est profondément affaibli et divisé. Comment l’expliquez-vous ?

Précisément, le pouvoir actuel ne peut plus jouer sur un simple jeu de miroir entre la majorité et son contraire. A ce stade de la recomposition politique, nous sommes passés à la quadripartition de l’opposition. Il ne peut donc espérer en une simple dialectique d’opinion, du fait même de son écrasante suprématie parlementaire. Il n’est d’ailleurs pas évident pour l’opinion que Les Républicains soit le principal parti d’opposition.

D’ordinaire, aussi, le premier ministre, surtout au début, sert de « bouclier » au président. Ce n’est pas le cas avec Edouard Philippe qui pourtant chute aussi lourdement dans les sondages…

De manière plus générale, aucune instance politique n’arrive pour l’heure à exister entre le Président et l’opinion publique. Ce pourrait être une stratégie de sublimation des clivages existant dans la société française dans une identification collective au Chef de l’Etat, un peu sur le modèle gaullien. Il s’avère que c’est un risque considérable de concentration des attentes, des critiques et des inévitables déceptions sur une seule personne. Nous sommes devant un schéma de crise majeure, politique et institutionnelle.

Si l’on devait résumer d’un mot, autre que « déception », le jugement des Français vis-à-vis de Macron quel serait-il ? Et pourquoi ? 

Puisque l’on parle simplement du jugement sur la personne, avec des éléments d’inquiétude mais aussi de satisfaction, notamment par contraste avec la manière dont François Hollande concevait son rôle, le mot déception est inadéquate, ou prématuré. Pour qualifier le sentiment de la plupart des Français, confrontés à cette spectaculaire mise en scène de la personne présidentielle, la notion de « perplexité » s’impose.

Lorsqu’on les interroge, les Français plébiscitent la fin du clivage droite-gauche et l’idée d’un gouvernement d’union, ce qui est le « modèle » suivi par Macron. Sa chute dans l’opinion, à droite comme à gauche, témoigne-t-elle, pour l’avenir, d’un retour de ces clivages dont il serait la première victime ?

Je ne crois pas que l’on assiste à la résurgence du clivage gauche-droite, et les difficultés des socialistes comme du parti LR en témoignent. La polarisation politique se fait davantage entre un bloc élitaire et un bloc populaire, ce dernier étant partagé entre le Front national et la France insoumise. Une bonne partie de la droite comme de la gauche de gouvernement hésite à s’opposer à un pouvoir dont ils partagent des options fondamentales, notamment la mise en conformité structurelle de la France avec les exigences européennes.

Parmi les ressorts qui expliquent sa baisse de popularité, quels sont ceux qui transcendent le plus les clivages, politiques et autres, et se font sentir de la même façon, ou presque, chez l’ensemble des Français ?

Ce qui transcendent les clivages politiques, que l’on se représente sur un axe gauche-droite horizontale, c’est la verticalité des clivages sociaux. De la décomposition partisane émerge une opposition radicale entre des intérêts concrets. En peu de mots, la geste marcronienne révèle une nouvelle lutte des classes.

Quels sont les principales raisons, et évènements, de la chute de popularité de Macron dans son électorat venu de gauche ?

 

Le manque de perspective salariale pour les fonctionnaires est déjà un handicap. Plus généralement, il s’agit de réduire la dépense publique, ce qui formait le pilier central de la conscience de gauche une fois dissipé l’écran de ses valeurs chéries. Les cadres supérieurs « de gauche » n’en sont guère affectés, mais les autres catégories s’inquiètent.

Quels sont, ensuite, les principales raisons, et évènements, de sa chute de popularité dans son électorat issu de la droite ?

A droite aussi, les aspects matériels, c’est-à-dire là essentiellement fiscaux, me paraissent prédominants. S’ajoute à cela, une fois passé l’effet positif de la formation du gouvernement d’Edouard Philippe et des prestations d’Emmanuel Macron sur la scène internationale, un trouble sur l’identitaire et le régalien. L’électeur de droite ne veut pas d’un Justin Trudeau hexagonal. Et, bien entendu, le traitement réservé au chef d’état-major des Armées a suscité une inquiétude profonde et durable.

Quel sont les familles politiques qui, aujourd’hui, profitent le plus de la déception engendrée par les premiers mois de pouvoir de Macron ?

A l’évidence, la France insoumise a transformé son succès d’estime à l’élection présidentielle en une force politique durable. La campagne de Jean-Luc Mélenchon a produit un élan de politisation remarquable, notamment parmi les jeunes. En outre, cette formation a su résister à la tentation de prétendre incarner la « vraie gauche », pour parler à tous les Français qui ne s’intéressent plus guère à ce genre de signifiants.  Le cas du Front national, qui semble depuis quelques mois un géant endormi, est plus complexe. L’important n’est pas son éclipse de visibilité, mais la force considérable que lui donnent les dix millions de suffrages obtenus par Marine Le Pen au second tour. Si les leçons de la campagne présidentielle sont effectivement tirées, en clair si le Front national enregistre la hiérarchie des attentes de ses électeurs potentiels, le parti de Marine Le Pen a un bel avenir devant lui. Désormais confronté à la rude concurrence de la France insoumise parmi les catégories populaire, il devrait profiter des divisions idéologiques et de l’affaiblissement partisan de la droite. Cette réorientation stratégique lui ouvrirait de grandes perspectives.

Si ce fossé avec l’opinion venait encore à se creuser, quelles sont les personnalités politiques qui devraient, à terme, le plus en bénéficier ?

Pour le moment, Jean-Luc Mélenchon a réussi à devenir l’opposant principal à Emmanuel Macron, les sondages le confirment. Une fois la réforme du code du travail achevée, il aura cependant cependant à gérer cet inévitable échec. A l’inverse, ce sera le moment pour la droite, jusqu’alors embarrassée dans son opposition à un gouvernement qui mène une réforme qu’elle aurait aimé accomplir, de redonner de la voix. Seules les personnalités capables de donner un sens idéologique à leur opposition, c’est-à-dire à se distinguer du libéralisme à 360 degrés d’Emmanuel Macron, pourront selon moi s’imposer.

La rentrée politique et sociale s’annonce particulièrement ardue pour le président. Dispose-t-il encore des cartes nécessaires pour renouer avec l’opinion ? Et si oui lesquelles ?

La perspective d’un « troisième tour » social me paraît réduite. Le chômage de masse, les difficultés financières de nombreux salariés, et la démoralisation de nombreux militants syndicaux ne plaident pas pour de fortes mobilisations, et encore moins pour des grèves. Reste que l’on ressent un immense malaise, entre un exécutif omnipotent, et une masse rétive. Il n’y a pas à court terme de débouchés électoraux pour ces frustrations, ce qui peut générer de la violence. Osons dire que l’instrumentalisation des peurs que cela susciterait constitue, comme pour tout pouvoir politique, une carte dans le jeu des gouvernants.

Quel serait, à l’inverse, le scénario-catastrophe de la suite du mandat de Macron ? Existe-t-il, comme avec Hollande, un risque de véritable fracture avec les Français ?

Si Emmanuel Macron n’arrive pas à retrouver une audience significative parmi les  catégories populaires, il se place en grande fragilité. Le bloc élitaire qu’il a incarné au second tour de la présidentielle est en fait minoritaire dans le pays, et traversé de contradictions, comme l’atteste la persistance d’une droite classique. Or l’image du président de la République ne suggère guère l’empathie pour les Français de condition modeste. Après l’incapacité successive de la gauche et de la droite à faire réélire leur président, un échec de la formule de synthèse qu’est le macronisme ouvrirait la voie à une des deux forces qui se disputent le bloc populaire. 

L’échec de la primaire de la gauche participe-t-il de la recomposition que vous décriviez dans votre ouvrage Le Nouvel ordre démocratique ?

L’affaissement du clivage gauche-droite a créé la possibilité du phénomène Macron, et donc l’implosion du Parti socialiste. Les questions de personnes sont très secondes dans cette affaire. Des fractions entières du salariat reconnaissaient dans la gauche son défenseur naturel. Ceci n’a pas résisté au chômage de masse ni au « pacte de responsabilité » cher à François Hollande, Manuel Valls et, pour une part, à Emmanuel Macron. Le clivage de 2005 est réapparu entre gauche du « oui »  enthousiaste à l’égard de l’Europe et au mondialisme, et d’autre part gauche du « non ». Cette clarification est durable. La Parti socialiste n’est pas seulement affaibli, il est pour l’essentiel remplacé.