«Le sentiment d’unité nationale est bien réel, mais reste fragile»

Tribune dans Le Figaro


Il est peu probable qu’Emmanuel Macron voie sa popularité durablement renforcée une fois la crise sanitaire surmontée. S’agissant de l’appréciation portée par les Français sur le président, nous vivons une parenthèse plus qu’un tournant, argumente l’analyste politique, fondateur de Polling Vox.

Pour dramatique qu’elle soit, la crise sanitaire que nous traversons n’empêche pas de penser aux transformations politiques qu’elle pourrait susciter. Des sondages d’opinion continuent à être réalisés et livrent des informations utiles. Plusieurs sondages ont ainsi montré un net regain de popularité de l’exécutif, que l’on peut estimer en moyenne, en ce qui concerne le président de la République, à une douzaine de points. Pour apprécier la portée de cette évolution, et pour envisager les conditions de pérennité de ce regain unitaire, il est opportun de se remémorer d’autres crises, avec d’autres chefs de l’Etat. Il convient également d’analyser les facteurs de cette faveur nouvelle rencontrée par le pouvoir dans l’opinion publique.

Les références martiales contenues dans l’adresse aux Français prononcée par le président de la République le 16 mars appellent naturellement à scruter les temps de guerre, même si l’on peut par ailleurs estimer que cette assimilation de la crise sanitaire à un conflit armé est inadéquate. Dans un passé relativement récent, il y eu la crise déclenchée par l’invasion du Koweit par les troupes irakiennes. Aussi étrange que cela puisse désormais paraître, vu ce que l’on sait du déséquilibre des forces alors en présence, l’inquiétude des Français fut profonde, car stimulée par une propagande belliciste très imaginative. Il y eut en certains lieux une ruée sur les magasins d’alimentation, comme si la prétendue « quatrième armée du monde » pouvait représenter une menace sérieuse pour les forces de la coalition. Ayant annoncé une « logique de guerre », François Mitterrand connut durant quelques mois une forte popularité, gagnant ainsi, selon l’IFOP, 19 points entre janvier et mars 1991. Très vite après la cessation des hostilités ces gains furent effacés, et si, selon la SOFRES, le président de la République avait suscité la confiance de 65% des Français en mars, ce n’étaient plus le cas que de 31% d’entre eux en décembre. Douze années plus tard, l’image de Jacques Chirac profita également du déclenchement d’une nouvelle guerre au Proche-Orient, mais cette fois en refusant d’y engager le pays. Selon la SOFRES, 60% des Français disaient lui faire confiance en avril 2003. A la fin de la même année, ils n’étaient que 40% à le faire. Dans les deux cas, il s’agissait d’un conflit lointain, mais qui avait soulevé une angoisse sécuritaire, en même temps qu’il suscitait des difficultés économiques. Et dans les deux cas, si la réponse de l’exécutif fut appréciée de l’opinion publique, cela n’eut pas de conséquence durable sur la vie politique française.

Autre choc exogène, la crise financière de 2008 profita, dans des proportions bien moindres, à l’image de Nicolas Sarkozy. A vrai dire, sa forte réactivité en la circonstance eut surtout un effet de réaffirmation de son autorité sur son propre camp, l’évolution de l’opinion des Français dans leur ensemble étant assez limitée. Les attentats islamistes de 2015 eurent un impact à la fois plus net et plus volatile sur l’image présidentielle. Pour la SOFRES, François Hollande vit sa très modeste cote de confiance passer de 15% à 35% en un mois, avant qu’elle ne retombe à son niveau initial dès février. Encore ces deux sujets si différents eurent-ils bien plus de conséquences que les guerres précédemment évoquées. Il s’agissait en effet de problématiques, l’une économique et financière, l’autre culturelle et sécuritaire, porteuses de modifications idéologiques profondes.

L’urgence sanitaire du moment présent renvoie sans doute davantage aux deux dernières crises évoquées. Choc exogène, l’apparition d’un nouveau virus dans une province chinoise est presque aussitôt entrée en résonnance avec des débats nationaux qui lui préexistait, que l’on peut synthétiser en trois volets. Le premier est celui du système de santé français et de son évolution. Entamée bien avant l’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée, la réforme de l’hôpital public suscite depuis des mois une forte contestation de la part du personnel soignant. Les clivages existant dans l’opinion à ce propos rejouent déjà à propos de la pénurie de masques. Cet élément est de nature non seulement à nourrir des polémiques durant la crise, mais surtout à susciter une protestation sociale redoublée lorsque celle-ci aura été surmontée.

Le deuxième débat concerne la gouvernance actuelle. Elle a provoqué de fortes critiques que l’on peut symboliquement dater de l’affaire Benalla et qui n’ont cessé d’être réitérées depuis. La cristallisation se fait aujourd’hui autour des déclarations d’Agnès Buzyn et des prises de parole de Sibeth Ndiaye mais concerne en fait en fait l’ensemble de l’exécutif. Les études de suivi de l’opinion durant le confinement, réalisées notamment par BVA et l’IFOP, indiquent qu’une majorité des Français estiment que le gouvernement a manqué de réactivité, a dissimulé des informations et communique mal. Il s’agit également là d’un élément durable, qui après avoir affaibli l’unité nationale autour du pouvoir provoquera sans doute une colère redoublée d’une partie de l’opinion. Ce sentiment ne peut être que stimulé par la mise en cause récurrente, de la part du président lui-même, de la perméabilité supposée des Français à l’égard des fausses nouvelles ou de leur propension hypothétique à céder à des phénomènes de panique. Là aussi, c’est dans un cadre interprétatif solidement installé depuis le début du quinquennat que se développe les logiques d’opinion au sujet de la crise sanitaire.

Il demeure une troisième dimension problématique, qui cette fois participe au regain de popularité limité mais bien réel de l’exécutif. On peut y voir un réflexe bienvenu des Français, soucieux de faire corps autour de leurs institutions et de leurs dirigeants à l’heure du grand péril. Une part de ce mouvement tient sans doute aussi à la nature des prises de parole du Premier ministre ou du président de la République, où certains perçoivent une incarnation réussie de la fonction. Moins souvent envisagée, il est cependant une autre explication possible, complémentaire, à ce mouvement de l’opinion. Depuis que la crise sanitaire est entrée dans une phase aigüe, plusieurs réformes controversées ont vu suspendue leur adoption ou leur exécution. Dans son allocution du 16 avril, le président de la République a souligné que « beaucoup de certitudes, de convictions seront remises en cause » et que « le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant ». D’aucuns souhaitent y voir une promesse d’infléchissement d’une politique gouvernementale qui, à tort ou à raison, a suscité une tension sociale sans précédent dans le pays. Du coup, fort rationnellement, nombre de citoyens opposés au cours réformateur de la politique macroniste relativisent leurs griefs et apportent leur soutien à l’exécutif. Cependant, dès que la pandémie sera jugulée, et si le pouvoir actuel maintenait sa volonté de transformation des relations sociales, la contestation qu’il suscite réapparaitraît avec force.

Ces différents éléments sont sans doute à prendre en compte non seulement pour préparer la sortie de crise mais aussi, dès à présent, pour maîtriser les facteurs de division d’une opinion publique dont l’unité constitue, en ces circonstances, un bien précieux.

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Élections municipales: le décryptage du politologue Jérôme Sainte-Marie


FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Jérôme Sainte-Marie analyse les principaux enjeux des élections municipales qui débutent ce dimanche dans un contexte très particulier. La pandémie de Coronavirus devrait selon lui nous inciter à relativiser les interprétations des résultats.

La première donnée est naturellement la participation électorale. Malgré la bonne image que les Français ont de la commune et du maire, véritables exceptions dans le regard dégradé qu’ils portent sur les institutions et le personnel politiques, l’abstention progresse continûment depuis les municipales de 1983. Elle se situait alors, au premier tour, à 21,6%, elle était en 2014 à 36,45%. Un tout récent sondage de l’IFOP, réalisé cependant avant l’allocution présidentielle de jeudi, indiquait qu’elle atteindrait 42%. Si un tel niveau devait être atteint ou dépassé, il ne serait pas aisé de déterminer la part imputable à la seule crainte de contamination, mais l’autorité de l’institution communale en serait nécessairement affectée. Ceci accentuerait la dérive de notre vie civique vers ce que les sociologues Braconnier et Dormagen ont appelé la « démocratie de l’abstention ». La crise de notre système de représentation en serait naturellement aggravée.

On repère aussi des critères de succès ou d’échec pour les différentes forces politiques. Par exemple, pour le RN, l’éventuelle conquête de Perpignan, pour LR, son maintien à la tête de Marseille ou pour le Parti socialiste la perpétuation de sa domination parisienne. Evidemment, pour la République en Marche, l’enjeu est non seulement la défense de ses quelques positions acquises, comme la ville de Nantes, mais surtout la conquête sous ses propres couleurs de villes importantes, son implantation donc. Les comptes détaillés seront faits les deux dimanche prochains, mais je crains qu’ils soient entachés par le niveau de la participation mais aussi par les conditions anormales de la fin de campagne.

Il y aura aussi un dernier enjeu, très important pour la suite. Comment les forces politiques, ville par ville plutôt qu’au niveau national, vont s’organiser au vu des résultats du premier tour ? Plus simplement, quelles sont les alliances qui vont apparaître ? Ensuite, lors de l’élection du maire par le conseil municipal nouvellement constitué, quels choix vont être faits ? Ceci risque de mettre sous tension deux forces politiques principalement, LREM et LR.

2/ Les partis traditionnels semblent en passe de se maintenir au pouvoir dans les grandes villes. Ces élections peuvent-elles contredire la thèse de la mort de l’ancien monde et de la polarisation Emmanuel Macron- Marine Le Pen?

Depuis des mois, le phénomène majeur de la campagne électorale a été la localisation des enjeux. Les maires sortants, dont le bilan est approuvé globalement par 66% des Français, en tireront sans doute un avantage accru. Elus en 2014, ils sont pour la plupart issus de la gauche ou de la droite dites de gouvernement. Inversement, les forces politiques qui polarisent depuis le début du quinquennat la vie politique, LREM d’un côté, LFI puis le RN de l’autre, ne bénéficient pas de cet ancrage territorial.

Il existe également un facteur sociologique qui masquera lors des municipales la polarisation « bloc contre bloc ». Plus que jamais, les villes concentrent la prospérité. L’évolution du marché de l’immobilier est éloquente. De ce fait, les courants politiques y sont très inégalement représentés. Les scores de la liste Loiseau soutenue par LREM y ont été importants. De manière symétrique, la liste Bardella a atteint un niveau de voix double dans les communes de moins de 3500 habitants – 28% des suffrages exprimés – que dans les villes de plus de plus de 100 000 habitants – 14%. Le Rassemblement national pâtit de la répartition prioritaire de ses électeurs dans des communes où il ne peut guère se présenter, soit que le scrutin s’y résume à une ou deux listes apolitiques, soit qu’il ne puisse trouver suffisamment de candidats acceptant de s’afficher sous ses couleurs. En d’autres termes, la pièce n’est qu’à moitié éclairée.

Donc, en apparence, et de manière largement artificielle l’ancien monde devrait prendre sa revanche. Cela devrait encourager les tenants d’une nouvelle « gauche plurielle » dans la recherche largement chimérique d’une candidature d’union pour la présidentielle. Le gain politique sera plus important pour LR, qui espère à cette occasion apparaître comme le principal « parti de gouvernement », atout essentiel pour espérer incarner l’alternance au niveau national. 

3/ Quelles peuvent être les conséquences de ces élections municipales en vue de l’élection présidentielle de 2022 ?

Les tendances constatées lors des élections municipales ne se confirment pas systématiquement lors des scrutins nationaux ultérieurs. Si l’on prend l’exemple lointain du triomphe de la gauche aux municipales de 1977, il ne l’avait pas empêché d’échouer au second tour des législatives juste un an plus tard. Il demeure que le scrutin de 2014 avait révélé l’ampleur de la crise à gauche, qui ne contrôlait plus au soir du second tour que 36% des villes de plus de 9000 habitants au lieu de 53% précédemment. Pire que son revers de 1983, cette déroute s’était en outre confirmée ensuite aux européennes puis à la présidentielle.

Encore la lecture du scrutin était-elle encore facile en 2014, puisque nous si étions régis par une tripartition politique, l’essentiel se jouait entre la gauche et la droite. Les effets de sanction du pouvoir national pouvaient être facilement observés et les conséquences des scrutins intermédiaires déduites aisément. Il en va tout autrement aujourd’hui, compte tenu de l’existence d’au moins quatre forces d’opposition (droite, RN, écologistes et gauche dans sa complexité). Il sera peu aisé d’identifier un vainqueur et un vaincu incontestables.

Il existe une autre dimension de ces scrutins municipaux, qui peut importer pour 2022, ce que j’appellerais un « effet casting ». J’entends par cela l’émergence possible de figures crédibles pour concourir à l’élection présidentielle. Même s’il n’y a pas vraiment d’exemple de président de la république apparu principalement aux élections municipales – la conquête de Neuilly par Nicolas Sarkozy ayant été très éloignée dans le temps de son accession à l’Elysée, et Jacques Chirac ayant pris la ville de Paris après avoir été Premier ministre. Pour LR comme pour la gauche, dans leur situation actuelle, cet « effet casting » pourrait cependant exister.

4/ Estimez-vous que la pandémie de Coronavirus aura des conséquences importantes sur ces élections? Si oui, de quel ordre?

La nouveauté radicale de la situation présente appelle évidemment à la prudence. Il faut également considérer, par principe, la possibilité d’une interruption du processus électoral en cas d’une brusque aggravation sanitaire entre les deux tours. Dans cette hypothèse, il serait sans doute reproché au président de la République d’avoir maintenu les dates du scrutin. Dès à présent, il existe une contradiction latente entre les mesures annoncées, par exemple l’interdiction des rassemblements et la fermeture des établissements scolaires, et le maintien des élections municipales. Le discours demandant aux Français de prendre un maximum de précautions ne peut qu’en inciter certains à ne pas se rendre dans leur bureau de vote, lieu de contacts humains possibles.

Non seulement le niveau de participation sera affecté, mais aussi, probablement, la composition du corps électoral effectivement mobilisé. Pour ces élections, la pandémie aura pour principal effet d’en relativiser l’interprétation politique.

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