Tribune de Jérôme Sainte-Marie publiée par Le Figaro Vox le 2 novembre 2018.


Lorsque le président de la République en fonction connaît une impopularité massive et grandissante – 29% de bonnes opinions en octobre au lieu de 52% en janvier, selon l’institut BVA –, une intervention d’un de ses prédécesseurs retient naturellement l’attention. C’est d’autant plus vrai en une période où la mutation politique qui a permis l’élection d’Emmanuel Macron demeure inachevée et où ce vaste ensemble qui fut la droite hésite sur ses orientations. Le grand entretien accordé par Nicolas Sarkozy au magazine Le Pointde cette semaineconstitue donc, a priori, un événement politique. Sa lecture amène cependant à en relativiser la portée comme à s’interroger sur le décalage entre les propos de l’ancien leader de la droite française et l’actuel état d’esprit des sympathisants du parti Les Républicains.

Tout d’abord, l’image de Nicolas Sarkozy ne se réduit pas à une cote de popularité encore importante. Il est d’abord, tout simplement, le dernier homme de droite à avoir conquis l’Elysée. Comme pour la mémoire de François Mitterrand, le premier homme de gauche à l’avoir fait, il s’agit d’une ressource symbolique fondamentale. Il constitue aussi, pour les sympathisants du parti Les Républicains, une figure d’affirmation idéologique. De ce point de vue, ce n’est pas tellement le bilan de son quinquennat qui importe, mais bien davantage la fierté qu’il donna aux électeurs de l’UMP de l’emporter en 2007 sans transiger sur les valeurs qu’ils chérissaient. On l’a souvent répété alors,

Nicolas Sarkozy sut être une figure transgressive, affirmant des fondamentaux idéologiques parfois contraires au « politiquement correct », du moins tant qu’il était en campagne. Ainsi, lors de la primaire de la droite et du centre, ses partisans n’espéraient pas qu’il ait changé, comme il tenta maladroitement de les en convaincre, mais plutôt qu’il demeurât semblable à celui qui les mena à la victoire en 2007 et perdit finalement d’assez peu en 2012.

Dans ce cadre, les déclarations de Nicolas Sarkozy au Point étonnent par leur modération, notamment à l’égard de l’actuel chef de l’Etat. Remarquant, en semblant le déplorer, que ce dernier soit la cible de bien des critiques, il rappelle la difficulté à satisfaire les attentes des Français à l’égard du pouvoir. En conséquence, parlant d’Emmanuel Macron, la position qu’il affirme est simple : « donnons-lui le temps ». De là nait un sentiment de décalage par rapport à ce qu’en pensent les sympathisants de droite. Parmi ceux du parti Les Républicains, seuls 27% ont désormais une bonne opinion d’Emmanuel Macron comme président de la République, au lieu de 48% en janvier. Dans le même temps, la proportion de Français qui déclarent « attendre de voir les résultats » de l’action de l’exécutif avant de se prononcer est passé de 48% à 39%. L’impatience gagne donc les sympathisants LR qui avaient pourtant été nombreux à soutenir les réformes sociales menées par le gouvernement. Le propos temporisateur de Nicolas Sarkozy intervient à contretemps.

Plus généralement, l’ancien président de la République se livre à un exercice de distanciation à l’égard du personnage qu’il incarna. Sur l’immigration, thème essentiel à droite aujourd’hui et sur lequel ses positions tranchées ne contribuèrent pas peu à son élection en 2007, il choisit le détour par des considérations sur l’Europe et la question démographique. Le contraste est brutal avec le ton direct, concret et pragmatique qui fit son succès. Il en va de même sur la plupart des sujets abordés avec en point fixe une exaltation de son engagement européen, « viscéral ». Là aussi le propos paraît un peu anachronique, dans la mesure où, si les Français en général et les sympathisants LR en particulier redoutent l’aventure monétaire que serait la sortie de l’euro, leur attachement affectif à l’Union européen s’est beaucoup affaibli. L’heure est plutôt à l’exaltation de l’idée nationale, très précisément ce qui permit à Nicolas Sarkozy de rassembler plus de 31% des suffrages exprimés au premier tour de 2007, donc bien au-delà des contours de la droite modérée et europhile.

En cela, à travers le vaste tour d’horizon que propose Nicolas Sarkozy dans les colonnes du Point, il dessine de lui-même un portrait bien différent de celui que ses anciens électeurs s’en font. Evoquant tour à tour la plupart des grands pays du globe et leurs dirigeants, il multiplie les louanges avec un esprit de système qui étonne et amuse à la fois. Lorsqu’il affirme sa vocation entrepreneuriale, au service d’un grand groupe français dont la prospérité est directement indexée sur la mondialisation des échanges, sans doute faut-il le croire. Une telle vocation n’empêche pas un retour en politique, mais outre qu’elle le rend plus improbable, elle en modifierait sans doute aussi les termes. Si Nicolas Sarkozy ne dit plus avoir changé, il semblerait bien, cette fois-ci, qu’il l’ait fait.