Interview de Jérôme Sainte-Marie, réalisée par Alexandre Lemarié et publiée par
Le Monde le 18 janvier 2019.


LE MONDE – Immigration, laïcité, loi anti-casseurs, suppression des alloca-tions familiales pour les familles d’enfants violents… Pourquoi Emmanuel Macron emprunte-t-il autant de mesures à la droite ?

Jérôme SAINTE-MARIE – Emmanuel Macron essaie de retrouver par tous les moyens le soutien d’une partie de l’électorat de droite, celui qui, il y a un an, l’avait rendu populaire. Les enquêtes d’opinion montrent en effet que la prin-cipale réserve de voix d’Emmanuel Macron se trouve de ce côté de l’échiquier. Et non chez ceux des électeurs de gauche qui ont voté en sa faveur au premier tour de la présidentielle. Eux, pour l’essentiel, ne l’ont pas abandonné car ils n’ont pas de plan B. Donc, si le président de la République conserve le soutien des sociaux-libéraux, tendance Strauss-Kahn ou Valls, ses zones de conquête se situent ailleurs.

Pourquoi l’électorat de droite constitue-t-il sa principale réserve de voix ?

Depuis le début du quinquennat, on observe que l’amplitude du soutien à Emmanuel Macron dans l’ensemble de l’opinion dépend essentiellement des électeurs qui ont voté en faveur de François Fillon à la présidentielle de 2017. Le pillage électoral de la gauche ayant été réalisé par le candidat Macron dès le premier tour de la présidentielle, ils constituent les seuls électeurs disponibles et susceptibles de soutenir le chef de l’État – en dehors de son propre socle. Ils ont sans doute moins d’affinité idéologique avec Macron qu’une communauté d’intérêt. A l’inverse, les partisans de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon paraissent hors d’atteinte car trop éloignés sur le plan sociologique ou culturel.

La cote de popularité d’Emmanuel Macron est donc indexée essentiellement sur la part des soutiens qu’il enregistre chez les électeurs de droite ?

Oui. Les sondages le montrent très clairement. En janvier 2018, Emmanuel Macron bénéficiait d’une cote de popularité de 53 % dans l’ensemble de l’opinion, selon un sondage IFOP-Paris Match, essentiellement grâce à l’apport d’électeurs fillonistes, qui étaient alors 71 % à soutenir son action. Le chef de l’État s’était rendu très populaire chez les retraités et les cadres, qui forment le gros de l’électorat de droite, grâce à sa réforme du code du travail. L’électorat conservateur appréciait sa volonté de réformer, son côté tchatchérien, et avait décidé de l’appuyer dans le conflit social qui l’opposait à la CGT et à la France Insoumise. En décembre 2018, quand la cote de popularité du chef de l’État est tombée à 23 % chez l’ensemble des Français, les électeurs de François Fillon sont encore 43 % à le soutenir, toujours selon un sondage IFOP-Paris match. Que ce soit en janvier ou en décembre 2018, Emmanuel Macron obtient vingt points de plus chez les électeurs fillonistes par rapport à son score moyen. Cela confirme qu’en dehors bien sûr des électeurs macronistes, sa principale zone de soutien potentielle se trouve à droite.

Le discours de fermeté d’Emmanuel Macron face aux violences explique-t-il sa légère remontée dans les sondages ?

Oui. Entre décembre et janvier, il a gagné deux points, passant de 23 % à 25 % dans un sondage Elabe, essentiellement grâce aux électeurs de François Fillon, chez qui il gagne douze points en un mois. Avec la poursuite du mouvement des « giles jaunes » et son lot de violences, les électeurs de droite sont de plus en plus en attente de mesures pour rétablir l’ordre. Cette aspiration se traduit dans les sondages : les trois sujets qu’ils érigent comme des priorités dans le sondage IFOP-Paris match de décembre sont des thèmes régaliens : la lutte contre le terrorisme, contre l’immigration clandes-tine et contre la délinquance. Emmanuel Macron l’a bien compris et a donc décidé d’incarner cette demande de fermeté. Chez lui, il y a moins une volonté de rassembler que de mettre en scène le con-flit à son profit : c’est le lot de tout leader porteur d’un projet fondamentale-ment minoritaire.