Tribune de Jérôme Sainte-Marie publiée par Le Figaro le 18 septembre 2018.


Pour la France Insoumise, le vent venu de l’Est apporte de bien fâcheuses nouvelles. Le lancement en Allemagne du mouvement Aufstehen (Debout) par la coprésidente du parti Die Linke (La Gauche) au Bundestag, Sarha Wa- genknecht, attise les brandons de la dispute sur la question migratoire. Or, sur ce sujet, Jean-Luc Mélenchon n’a eu de cesse depuis des années de pratiquer la politique de l’oxymore : défenseur proclamé de l’ordre républicain et donc de la notion de frontière, il se faisait, en même  temps, dénonciateur implacable de toutes les mesures concrètes pour faire respecter celle-ci comme celui-là. Parmi tant d’exemples, le leader de la France Insoumise s’était distingué au printemps dernier par son soutien aux « Trois de Briançon », trois militants étrangers ayant participé aux bousculades contre des douaniers au col de Montgenèvre afin de permettre le passage de migrants.

L’attitude longtemps ambivalente de Jean-Luc Mélenchon ne lui a pas évité les critiques des milieux pro-migrants  qui souhaitaient un ralliement explicite à leurs positions.  Ce faisant cette mouvance lui rendait un grand service, car il pouvait utiliser leur véhémente insatisfaction comme gage de l’équilibre de sa position politique. Les débats à l’Assemblée nationale lors du vote de la loi Asile et Immi- gration ont pourtant montré qu’il n’en était rien, le groupe parlementaire de la France Insoumise multipliant les prises de parole pour réclamer une extension du droit d’asile et refuser toute répression pratique de l’immigration clan- destine sous prétexte d’en dénoncer les causes premières.

L’événement allemand, celui de l’affirmation au  sein même de Die Linke, modèle du Front de Gauche, d’un mouvement souhaitant allier une critique marxiste de la société avec une volonté de contrôle de l’immigration, a précipité les choses. En effet, l’initiative de Sarha Wa- genknecht entend rompre l’équivalence entre extrême gauche et refus des frontières, dans la perspective d’une reconquête des catégories populaires qui, en Allemagne comme en France, considèrent que l’humanisme abstrait s’accommode du sacrifice de leurs conditions concrètes d’existence. Or le soutien qu’a apporté à Sarha Wa- genknecht Djordje Kuzmanovic, conseiller auprès du leader de la France Insoumise sur les questions de défense et de relations internationales, a suscité un très rare désaveu public de la part de Jean-Luc Mélenchon, fort tolérant pour les tenants d’une ligneopposée.

Ainsi, la messe est dite, et l’ancien candidat à l’élection présidentielle sort de l’ambiguïté sur la question migra- toire, tandis que Manuel Bompard, tête de liste masculine de la France Insoumise aux élections européennes, rap- pelle sur son blog son engagement à régulariser tous les immigrés clandestins.

« Bravo à l’Aquarius » s’était exclamé Jean-Luc Mélenchon le 25 août lors de son discours de clôture de l’université de son mouvement. Réalisait-il alors que 51% des sympathi- sants de la France Insoumise, selon l’Ifop, considéraient en juin dernier qu’il ne fallait pas proposer d’accueillir ce na- vire et les migrants qu’il transportait ? 67% des Français en pensaient autant, mais il est vrai que 59% des sympathi- sants socialistes étaient d’une opinion inverse. Se souvient- il, Jean-Luc Mélenchon, que pour 43% de ceux qui ont voté pour lui en 2017, l’immigration joue, « de manière géné- rale », un rôle négatif, contre 33% qui lui accorde un rôle positif ? Mesure-t-il que seuls 18% des sympathisants de la France Insoumise pensent que la politique d’Emmanuel Macron en matière d’immigration est trop rigoureuse? Certainement.

Mais Jean-Luc Mélenchon voit aussi que sur la question migratoire l’adoption d’une ligne compatible avec les in- quisiteurs de la gauche dite morale constitue le sésame de sa réintégration politique en son sein. Les anciens élec- teurs de Benoît Hamon forment à peu près la seule catégo- rie à juger positif l’impact de l’immigration sur la société française. Jean-Luc Mélenchon souhaite les séduire, et donc sacrifie à leur croyance sur le sujet. Cette attitude va de pair avec une édulcoration de sa position sur l’Union européenne, avec une dialectique Plan A – Plan B de plus en plus confuse. En termes d’efficacité électorale, ce mouvement est surprenant, tant l’opinion des Français se radicalise sur ces différents sujets, et notamment sur la question migratoire, deuxième motivation du vote, selon un ré- cent sondage, pour les prochaines élections européennes.

Dès lors, à quoi sert le discours de plus en plus ouverte- ment pro-migrants de la France Insoumise ? À revenir au bercail de la gauche, celui où nombre de ses dirigeants ont fait leurs premières armes, parfois au sein de mouvements qui, tels SOS Racisme, servaient de rabatteurs pour le parti de François Mitterrand.Comme l’a dit Jean-Luc Mélen- chon le 9 septembre à Marseille « que finisse cette longue solitude pour moi d’avoir été séparé de ma fa- mille». Soucieux de devenir l’astre majeur d’une gauche reconstituée, la France Insoumise veille à user d’une rhéto- rique – les modernes pédants parleront de « stratégie dis- cursive » – à même d’amadouer les gardiens du temple de lagauche.

N’en déplaise à ceux qui croient voir en les amis de Jean- Luc Mélenchon d’indécrottables marxistes, il n’y a dans cette démarche aucune analyse de classe ni visée révolu- tionnaire. On y trouve simplement une tactique peu inspi- rée à destination des élections européennes, doublée d’une très probable faute stratégique.

Dans les opinions publiques européennes, le vent de l’Est l’a emporté sur celui de l’Ouest, et la normalisation de la France Insoumise intervient à contretemps. Afin de pren- dre la direction d’une force très affaiblie, la gauche, qui ne rassemble qu’un quart des électeurs, elle abandonne toute espérance de profiter de la vague populiste qui traverse le continent. De cette erreur, sans doute inévitable compte tenu de ce qu’est la sociologie de la mouvance France In- soumise, la question migratoire constitue l’éclatant révéla- teur. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon déclare forfait sur la stratégie populiste, et libère la voie à des forces politiques qui ne lui ressemblent guère.