Tribune de Jérôme Sainte-Marie publiée le 29 mai 2018 par Le Figaro sous le titre :

 « Euro, immigration… le malaise de la France insoumise face à la crise italienne »


La crise politique italienne constitue-t-elle un moment de vérité pour la France Insoumise ? Un regard superficiel trouverait plutôt la situation confortable pour Jean-Luc Mélenchon. Quelques jours après qu’il a choisi, lors de « L’émission politique », une paire de ciseaux pour caractériser la politique libérale et austéritaire à ses yeux menée par Emmanuel Macron, voici qu’est annoncée à Rome la nomination d’un « Monsieur Ciseaux », surnom de Carlo Cottarelli, pour diriger le nouveau gouvernement. La rhétorique du leader de la France Insoumise trouverait donc un écho inattendu de l’autre côté des Alpes, avec l’arrivée au pouvoir, à grands renforts de soutiens européens et patronaux, d’un adepte de la réduction de la dépense publique. Réduite à ces éléments, la crise italienne offrirait à la « mouvance progressiste » dont se réclame Jean-Luc Mélenchon une illustration commode pour développer son discours anti-libéral. Malheureusement pour elle, ce qui se passe à Rome risquede révéler des fractures mal refermées et de l’obliger à éclaircir certains choix stratégiques.

Le premier problème est bien entendu le rapport à l’euro. L’impression donnée par l’attitude du président italien est encore pire que les propos tenus en janvier 2015 par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, selon lesquels « il ne peut y avoir de choix démocratiques contre les traités européens ». Le soutien apporté par Emmanuel Macron au président Mattarellasouligne la dimension internationale de la question. Pour bien des Français, cette affaire italienne leur rappellera le sort étrange de leur vote en 2005, lorsqu’un texte, le Traité Constitutionnel Européen, refusé par 55% des suffrages exprimés par les citoyens, fut adopté, avec quelques modifications légères, trois ans plus tard par le Parlement. La France Insoumise est plutôt à l’aise sur le sujet, certains de ses leaders n’étant pas loin de considérer l’euro comme une nouvelle « prison des peuples ». Et, de fait, 70% des sympathisants de gauche avaient voté « non » en 2005.

La situation n’est pourtant pas si simple. Tout d’abord, les sondages ont montré tout au long de la campagne présidentielle que si les Français étaient très réservés sur le bilan de la monnaie unique, ils craignaient beaucoup les conséquences d’une éventuelle sortie. De ce fait, Jean-Luc Mélenchon n’avait pas trop repris son propre slogan, « l’Europe, on la change ou on la quitte ». Depuis, deux obstacles supplémentaires ont surgi. D’une part, la France Insoumise entend bien occuper l’ancien territoire de la gaucheet, plus concrètement, étriller les formations politiques se réclamant encore de celle-ci lors des prochaines élections européennes. Dès lors, certains hésitent à développer un discours trop effrayant pour tout ce que l’ancien électorat de gauche compte de partisans de l’énigmatique « Europe sociale ». D’autre part, l’alliance conclue pour le scrutin de 2019 avec Podemos en Espagne et le Bloco au Portugal incite à une certaine prudence sémantique, les Espagnols et les Portugais ayant davantage que les Français des raisons historiques et financières d’être attachés à l’Union européenne. Critiquer la Commission européenne est une chose, assez facile, s’en prendre à l’Union européenne en est une autre, bien plus risquée.

Le problème pour la France Insoumise et sa mouvance se complique avec l’identité des protagonistes de l’affaire italienne. L’alliance entre la Liga et le M5S a été présentée par Jean-Luc Mélenchon comme une « catastrophe » ayant « de forts relents d’extrême-droite ». Il est vrai que ses préférences allaient plutôt lors des dernières élections générales italiennes aux candidats du Potere al Populo, qui ont à peine dépassé 1% des suffrages exprimés. Or, il est très difficile de masquer que les électeurs italiens ont largement tenu compte de la question migratoiredans leur choix de mars dernier. Ceci ne les distingue guère désormais des électeurs britannique, allemands et autres – le contrôle de l’immigration ayant été la deuxième motivation déclarée par les électeurs français lors du premier tour de la présidentielle -, mais pose un problème évident à la « mouvance progressiste ».

Comment dénoncer un éventuel abus de pouvoir du président italien, et indirectement de la Commission européenne, si celui-ci bloque la voie du pouvoir à ce qui serait un quasi-fascisme ?Comment également ne pas verser dans une déligitimation du vote populaire, laquelle rapprocherait les « antifascistes » des « élites » abhorrées ?

Dès lors, la crise italienne n’est pas un dérivatif simple pour une France Insoumise qui après s’être imposée comme la force d’opposition principale, bute sur la puissance du « bloc élitaire » rassemblé autour d’Emmanuel Macron. Si une bonne partie des électeurs du Front national, près du quart, considèrent la France Insoumise et surtout son leader avec sympathie, l’inverse n’est pas vrai. Loin d’être gommée, l’opposition entre ces deux courants sur l’immigration a été exacerbée lors du débat sur la loi Asile et immigration. Lors des dernières mobilisations, toute une culture gauchisante s’est même réveillée, au risque de décourager davantage les catégories populaires. Aucune formule de rassemblement de la représentation politique de celles-ci ne semble s’imposer, ni même être recherchée.

C’est pourquoi l’heure italienne s’impose à la vie politique française, et en premier lieu à la mouvance de la France Insoumise. Comme à peu près partout en Europe aujourd’hui, l’affrontement entre souveraineté nationale et adhésion européenne transforme les clivages politiques et fait vaciller les identités de gauche et de droite. La République en Marche l’a parfaitement compris. La préparation des prochaines élections européennes permettra de vérifier si sa principale opposition, dans la rue comme dans les sondages, la France Insoumise donc, réussit ou non à se hisser au niveau du défi italien.