Interview de Jérôme Sainte-Marie, réalisée par Paul Sugy et publiée le 6 février 2018 par Le Figaro Vox


LE FIGARO VOX – Ce dimanche, LR l’a emporté 2 à 0 contre LREM… Ce ne sont pas les résultats sportifs, mais ceux des deux législatives partielles qui ont eu lieu dans le Val d’Oise et à Belfort. Est-ce (déjà) la fin de la « Macronmania », pour reprendre le titre en une de L’Express en juin dernier ?

 

Jérôme SAINTE-MARIE – Depuis 1982, les premières élections législatives partielles sont toujours scrutées comme pouvant annoncer la fin de « l’état de grâce ». Le 17 janvier de cette année-là, dans quatre circonscriptions, l’opposition l’avait emporté sur la gauche dès le premier tour. Ce fut d’autant plus un coup de tonnerre que François Mitterrand bénéficiait encore d’une forte popularité, 59% des Français, selon la SOFRES, lui faisant alors confiance comme président de la République. En janvier 2018, selon ce même indicateur, la cote de confiance d’Emmanuel Macron s’établissait à 44%, contre 51% de défiance, en progression de six points depuis novembre. Autant dire que l’époque est radicalement différente, et que l’on a beaucoup abaissé le niveau d’exigence en matière de soutien populaire aux politiques. Pour Emmanuel Macron, il faut surtout saisir la profonde originalité de sa situation. Elu à partir d’un score de 24% le 23 avril, le second tour ayant été un choix essentiellement négatif, il a depuis considérablement élargi sa base politique. Ce phénomène a suscité un extraordinaire engouement dans cette mince partie de la population ayant un accès facile aux médias, et dont la sociologie est proche des premiers soutiens de la geste macronienne. Par rapport à ces dithyrambes, les scrutins de dimanche dernier font office de rappel aux réalités démocratiques.

Le score le plus frappant dans ces deux élections est le taux d’abstention : 74 % d’un côté, 80 % de l’autre… Emmanuel Macron a-t-il éloigné les Français de la politique ?

Une telle assertion serait assez injuste. L’abstention s’étend en France depuis des décennies pour la plupart des scrutins, et a connu une forte extension spectaculaire lors des élections législatives de 2017 : plus de 51% au premier tour, et 57% au second. La logique du quinquennat a donc aggravé le phénomène, ainsi que la dislocation du système politique français, qui n’est plus structuré par le clivage gauche-droite. Il semblerait cependant que les premiers mois du mandat d’Emmanuel Macron n’aient pas suscité le regain civique annoncé. Si l’on considère la dernière vague du « baromètre de la confiance politique », menée en décembre par l’institut OpinionWay pour le Cevipof, il apparaît que l’image des institutions démocratiques s’est encore dégradée. La proportion de ceux qui déclarent ne pas s’intéresser à la politique atteint le niveau de 48%, le plus haut mesuré par cet indicateur depuis sa création il y a neuf ans. Que l’image d’Emmanuel Macron soit meilleure que celle de son prédécesseur est une évidence, mais cela ne signifie pas une adhésion populaire massive à la personne ou à son projet. La France ne s’ennuie pas, elle est dans l’expectative.

Le leitmotiv de l’exécutif semble être, depuis l’automne, « je fais ce que j’ai promis », infographies et cascades de publications sur les réseaux sociaux à la clé. Baisse de charges pour les entreprises, allègement de la fiscalité des ménages, moralisation de la vie publique, transition énergétique… Le président a-t-il donné satisfaction à ses électeurs ?

D’après l’IFOP, 50% des Français se disent satisfaits d’Emmanuel Macron comme Président de la République. A ce stade du mandat, ils étaient 38% pour François Hollande et 47% pour Nicolas Sarkozy. C’est aussi dix points de plus qu’en août. Parmi les sympathisants de la République en Marche, ils sont 94% à se déclarer satisfaits. Voici trois indications convergentes d’un début de quinquennat réussi. Si l’on ose dire, le macronisme se prouve par la marche, il constitue une force politique qui se construit par l’action de l’exécutif, bien plus que par l’adhésion à un programme, et encore moins par la fidélité à une tradition, du fait de son originalité. Pour l’heure, non seulement il n’a pas déçu ses électeurs originels, mais il a su séduire une bonne partie de ceux de François Fillon, notamment par son volontarisme réformateur. En outre, les attaques qu’il subit venant de certains milieux dits de gauche sur les enjeux de l’immigration et de l’éducation n’ont pu que le renforcer à droite. Il est cependant plusieurs points qui entravent l’élargissement de sa base. Tout d’abord, selon Viavoice, à peu près deux Français sur trois se considèrent comme des « perdants » de ses réformes. Ensuite, l’augmentation de la CSG subie par une majorité de retraités apporte au parti Les Républicains une véritable bouffée d’oxygène. Donc, effectivement, Emmanuel Macron n’a pas déçu sa base de départ, mais celle-ci étant minoritaire, et comme les seconds tours se jouent rarement face à un Front national stigmatisé, il a besoin de l’agrandir encore. 

Les dossiers chauds ne manquent pas pour Emmanuel Macron : de la colère des gardiens de prison ou du personnel des EHPAD, à la réforme des retraites ou de l’assurance chômage attendues en 2018… Doit-il craindre une montée des contestations sociales ? Serait-il de taille à y faire face ?

Comme de juste, il n’y a pas eu de « rentrée sociale » en septembre. Après une élection présidentielle où le candidat élu n’avait pas fait mystère de ses ambitions réformatrices, à rebours de Jacques Chirac en 1995, c’était prévisible. De plus, toute la vie sociale du pays est surplombée par l’existence d’un chômage de masse. La facilitation des licenciements par la réforme du code du travail forme un solide adjuvant à ce déclin de la combativité des salariés. D’ailleurs, la proportion des Français qui pensent que l’on pourrait connaître dans les prochains mois une « explosion sociale » est en forte baisse : 54% selon l’IFOP, au lieu de 72% en mai 2016. Comme le rappelait Le Figaro il y a quelques jours, le nombre de jours perdus pour fait de grève est en diminution constante. Ainsi, il y en a eu 69 journées pour mille salariés en 2015, au lieu de 164 dix ans plus tôt. Encore ne s’est-il agi la plupart du temps que de conflits défensifs, souvent liés à des liquidations de l’activité. Tous les indicateurs sont donc favorables aux réformes. Ce n’est que dans la fonction publique que le risque de contestation demeure important, mais le soutien de l’opinion publique lui serait bien plus chichement compté que pour les cheminots en 2005.

Alors que Jean-Luc Mélenchon ne semble plus en mesure de se poser encore comme « premier opposant », Laurent Wauquiez peut-il prétendre au titre ? Deviendra-t-il le champion du « peuple » contre le pouvoir des « élites » ?

Les législatives partielles confirment que les principales réserves électorales face à Emmanuel Macron sont sur sa droite. Le premier tour de la présidentielle le disait très clairement : sans préjuger de leur capacité à se mêler, le simple cumul des voix de Marine Le Pen, Nicolas-Dupont Aignan et François Fillon était de 46% des suffrages exprimés. De l’autre côté, les voix de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon comptaient pour 26%. Or, de multiples études ont montré la proximité des positions des sympathisants de LR et du FN sur les sujets régaliens, notamment ceux liés à l’immigration.  C’est le contraire à gauche : là, le social unifie, le régalien divise. Une offre politique reprenant l’ordo-libéralisme, telle celle qui avait triomphé lors de la primaire de la droite et du centre, a de vraies perspectives électorales devant elle. Cela n’a cependant guère à voir avec ces notions de peuple et d’élite, facilités rhétoriques qui constituent même un risque politique majeur pour Laurent Wauquiez. En effet, une bonne partie de ses électeurs potentiels font confiance au « bloc élitaire » incarné par Emmanuel Macron en matière de politique économique et sociale, tout en espérant la constitution d’un bloc conservateur pour tout le reste. Croire que le libéralisme n’est pas une force qui révolutionne tous les rapports sociaux constitue sans doute une illusion, mais celle-ci est largement partagée.

Depuis un an au moins, la vie politique française semble être une succession de rebonds inattendus… Faut-il s’attendre encore à des surprises ?

Il était concevable que la présidentielle de 2017 devînt un scrutin de recomposition du système politique français, mais le déroulé des événements fut plus spectaculaire encore. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les choses se passent assez simplement, par l’application d’un projet d’adaptation de la France à toutes les contraintes d’une mondialisation assumée. Le principal élément d’incertitude est aujourd’hui de savoir si le pouvoir réussit à stabiliser une base électorale suffisante, bien que sans doute minoritaire, pour emporter les prochains scrutins contre des oppositions inconciliables entre elles. En d’autres termes, face à la dynamique qui porte Emmanuel Macron et que celui-ci incarne avec talent, un autre discours hégémonique est-il possible ?