Interview de Jérôme Sainte-Marie, réalisée par Ludovic Vigogne, publiée par L’Opinion le 11 décembre 2017


L’OPINION – Six mois après les lourdes défaites de la présidentielle et des législatives, l’état de la droite s’est-il aggravé ?

Jérôme SAINTE-MARIE – Oui, et même très nettement, dans la mesure où une bonne partie des électeurs de François Fillon lors de la présidentielle approuvent et soutiennent aujourd’hui la politique menée par Emmanuel Macron. En décembre, le baromètre de Kantar-Sofres signale que 53% des sympathisants LR font confiance à Emmanuel Macron, soit douze points de plus en un mois. C’est un nouvel indice que la droite court le risque d’être non seulement battue mais remplacée. Elle le serait sur alors dans sa double vocation de soutien à l’activité économique, à l’entreprise, et d’affirmation de l’autorité de l’Etat dans les autres domaines.

Jusqu’où cette emprise de l’actuel chef de l’Etat sur la droite peut-elle aller ?

L’offensive d’Emmanuel Macron se déploie sur plusieurs fronts. Le premier est celui de la réforme, emmenée par le trio Edouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Même ses opposants le reconnaissent, le pouvoir a remporté là de réels succès. Désormais le chef de l’Etat donne le sentiment d’ouvrir deux autres fronts pour parfaire sa domination du champ politique. L’un concerne la question de l’école et du rétablissement des règles et de l’autorité. C’est un thème très important à droite où les socialistes en général et Najat Vallaud-Belkacem en particuliers ont été l’objet de vives détestations. L’autre porte sur l’immigration. Dans ses propos, Emmanuel Macron ne cesse de corriger l’image de mondialiste, qu’on avait pu avoir de lui durant la campagne présidentielle. Ce ne sont pour l’instant que des mots, mais si ce discours volontaire sur l’immigration se poursuit par des actes, ce serait un autre obstacle au ralliement des électeurs de droite qui sauterait.

Quelles sont les conséquences de cette nouvelle donne ?

Un schéma tout à fait nouveau pour la droite est en train d’émerger. Alors qu’elle a vécu ces trente dernières années sous la menace du FN, elle subit désormais l’attraction d’une formation centrale. Cette situation si inconfortable pour la droite devrait l’obliger à une profonde réflexion idéologique. Je ne vois que deux options crédibles. La première serait que la droite s’en tienne à ce qu’elle est depuis la fondation de l’UMP : modérément libérale, modérément européenne, modérément mondialiste, mais tout cela cependant. Elle attendrait alors que l’usure du pouvoir atteigne Emmanuel Macron pour prendre sa place. Ou bien, elle se positionne frontalement contre la politique menée actuellement, assumant un conservatisme dont elle s’est en pratique éloignée.

Que faire face à ce dilemme ?

Comme aux échecs, la droite ne pourra reprendra l’initiative qu’en sacrifiant des pièces. Elle est aujourd’hui confrontée à un choix stratégique très lourd. Sa base électorale s’est réduite à 20% lors de la présidentielle, si l’on s’en tient à François Fillon, ou à 27%, en y assimilant trois autres candidats. Or, elle est à la tête de deux tiers des départements, d’une majorité de régions et d’un nombre très important des grandes villes. Ce hiatus nourrit la crainte de

ses élus locaux, qui réagissent selon leur sensibilité idéologique mais aussi en fonction de la sociologie de leur territoire. Certains envisagent des accords avec LREM, qui a bien du mal à se transformer en structure partisane, mais encore faudrait-il que les macronistes se prêtent au jeu. D’autres préfèreraient une offre idéologique suffisamment forte pour contre-balancer celle d’Emmanuel Macron. Dans cette deuxième hypothèse, tout le monde sait bien où sont les réserves de voix : ce sont les électeurs du Front national, qui ont représenté un tiers des voix au second tour de la dernière présidentielle. Les reconquérir est concevable. Les sondages montrent qu’il y a toujours une grande harmonie sur les questions régaliennes entre les électeurs de droite et ceux du FN. C’est pourquoi, des quatre oppositions qui font face à Emmanuel Macron, ce sont ces deux courants qui ont le plus de chances de se mêler.

La droite court donc un risque profond de scission entre sa direction nationale et ses figures locales ?

Elle a aujourd’hui un sommet très faible et une base, une périphérie, très forte, du fait de ses victoires locales sous le quinquennat Hollande. On voit bien, déjà, que beaucoup ont intégré la réduction de l’électorat de droite, adaptent leur discours et peuvent envisager des accords avec LREM. Le nouveau président des Républicains, lui, va devoir choisir entre le national et le local.