Interview réalisée par Vincent Trémolet de Villers et publiée par Le Figaro le 9 avril 2021


L’état de l’opinion aujourd’hui permit-il de départager la droite. Y-a-t-il un candidat qui se distingue de façon évidente ?

Il n’y a pas de candidat naturel de la droite pour l’élection présidentielle. Tout d’abord parce qu’aucune des personnalités testées dans les sondages n’est, à ce jour, qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle. Il en va d’une dizaine de points. Ensuite, parce que leurs scores, évidemment virtuels à ce stade, ne sont guère éloignés. Enfin, aucun mécanisme partisan n’est plus aujourd’hui garant d’une incontestable légitimité.

Il faut évoquer ici la formule assez récente de la primaire. Elle fut créditée de toutes les vertus, elle est aujourd’hui parée de tous les vices. De fait, au premier tour de la présidentielle de 2017, parmi les quatre candidats arrivés en tête, trois n’avaient pas été désignée à l’issue d’une telle procédure, à commencer par l’actuel chef de l’Etat.

La primaire de la droite en 2017 a-t-elle correspondu aux résultats des sondages  ?

L’organisation de la primaire de la droite et du centre en 2016 se fait dans un contexte difficilement imaginable aujourd’hui. Le succès de François Hollande quatre ans auparavant face à Nicolas Sarkozy paraissait valider l’efficacité de ce processus pour construire une image présidentielle autour d’un candidat pourtant sans expérience gouvernementale.

En 2016, avec une gauche discréditée et un Front national contenu, la primaire de la droite et du centre était même considérée comme le scrutin déterminant, dont le verdict serait ratifié quelques mois plus tard lors de la présidentielle. C’est d’ailleurs pourquoi des milliers de sympathisants de gauche acceptèrent de payer deux euros pour y participer, portant leur voix à Alain Juppé pour éviter un retour de Nicolas Sarkozy. Cette transgression des limites partisanes a d’ailleurs constitué l’un des éléments qui permirent le succès du « et gauche, et droite » d’Emmanuel Macron.

Cet aveuglement a été accompagné par des sondages donnant très longtemps Alain Juppé vainqueur. A la mi-novembre 2016, cinq jours avant le premier tour de la primaire, il est toujours en tête et François Fillon en troisième position. Dans un scrutin aussi atypique, où finalement peu de choses séparent les candidats, les électeurs modifient leurs intentions de vote très rapidement. Ce qui est plus embêtant en termes d’analyse est qu’il était alors considéré que plus nombreux seraient les participants à la primaire de la droite et du centre, et davantage le choix majoritaire se porterait sur un candidat au discours relativement modéré. C’est exactement l’inverse qui s’est produit.

La primaire de la droite en 2017 a-t-elle été la cause de sa défaite ?

L’importance de la participation, 4,3 millions de participants au premier tour, davantage au second, a contribué à l’aveuglement de la droite. Les soutiens de François Fillon ne semblaient pas alors complètement réaliser que les propositions de leur candidat étaient loin de se situer au point d’équilibre de l’opinion publique. Avant même les accusations du Canard Enchaîné sur l’emploi de son épouse, François Fillon voit les intentions de vote en sa faveur décliner, car les Français prennent connaissance de son programme sur les remboursements des frais de santé. La primaire a donc favorisé un « effet de bulle », entrainant une radicalisation des discours.

Il y a eu un effet de symétrie entre la primaire de la droite et celle de la gauche qui a libéré un vaste espace pour Emmanuel Macron. Se croyant déjà vainqueurs, les leaders de la droite ont sombré dans la surenchère réformatrice, sans réaliser l’inquiétude qu’elle suscitait. Se sachant vaincus, les sympathisants de gauche ont perdu toute prudence, s’abandonnant aux délices utopiques promis par Benoît Hamon. Dans les deux cas, l’organisation de la primaire a eu des effets évidemment délétères.

Reste un autre défaut à la primaire, celui-ci structurel. A cette occasion, chaque camp se divise, sans l’assurance, vue la désorganisation partisane actuelle, de pouvoir se réconcilier. Ainsi, deux candidats malheureux à gauche, l’écologiste François de Rugy et le socialiste Manuel Valls, ont commis avant le premier tour de la présidentielle un spectaculaire parjure en ralliant Emmanuel Macron. Rien ne garantit qu’un tel cas de figure ne puisse survenir à droite d’ici à la prochaine élection présidentielle.

En quoi le résultat des régionales sera décisif dans ce départage ?

Deux personnalités jouent ici leur éventuel avenir présidentiel. Cela concerne Xavier Bertrand, bien sûr, dans les Hauts-de-France, qui a consolidé son image nationale sur sa victoire régionale en 2015 face au Front national, profitant du forfait de la gauche au second tour. De son côté, en Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui a elle aussi pris ses distances avec le parti Les Républicains, verrait son image rehaussée par une réélection dans cette région un temps dominée par la gauche. Par ailleurs, on ne peut pas dire que les conditions de la campagne des prochaines régionales, en période de stress sanitaire, favorisent l’émergence de personnalités nouvelles.

Pour remplir l’espace politique qui existe en Macron et Le Pen quelle doit être la ligne de la droite ?

Quel est réellement cet espace ? On sait que depuis les premiers jours du quinquennat la droite parlementaire a bien du mal à savoir si elle s’oppose ou pas au gouvernement. Une bonne part de ses sympathisants, parfois la majorité absolue, se satisfont d’Emmanuel Macron comme président de la République et apprécient son ancien Premier ministre, Edouard Philippe. En 2019, les élections européennes ont cruellement souligné cette ambiguïté. Dans le même temps, sur les sujets dits régaliens, en clair surtout la sécurité, l’autorité de l’Etat et la politique migratoire, l’opinion des sympathisants de LR se confond avec celle des partisans du RN.

La droite est surtout minée par ses contradictions. Par la qualité de ses cadres comme par son emprise maintenue sur de nombreux exécutifs locaux, elle constitue, autour de LR, le principal parti de gouvernement. Par le nombre de ses électeurs aux scrutins nationaux, sa situation est déjà moins enviable, étant largement dominée dans les intentions de vote à l’élection présidentielle. Par la structure de ses soutiens dans la population, elle apparaît très affaiblie, pratiquement absente des milieux populaires et largement dominée partout ailleurs sauf parmi les retraités. A partir de ces termes, l’équation est difficile à résoudre. Doit-elle être une formule de substitution à Emmanuel Macron, ou bien de contestation à la politique suivie par lui ? Peut-elle triompher en 2022 par elle-même, ou doit-elle se résoudre à encadrer par son soutien l’une des deux grandes forces qui se sont opposées au second tour en 2017 et qui semblent devoir le faire de nouveau l’an prochain ?