Article paru dans RotaryMag – novembre 2021
L’effet politique des sondages constitue un sujet sur lequel chacun a une opinion, parfois dépréciatrice pour ses concitoyens. Il y a une dizaine d’année, un sondage de l’IFOP indiquait que 59% des Français considéraient que « les sondages publiés au moment des périodes électorales, par exemple en campagne présidentielle » avaient « une forte influence sur le vote des électeurs ». Dans le même temps, seuls 15% pensaient que ces sondages avaient une forte influence « sur leur propre vote ». A travers cette construction en abîme – solliciter par sondage l’opinion sur les sondages – on mesure la force du préjugé : l’influençable, c’est l’autre.
Il ne s’agit pas ici de nier le rôle que jouent les sondages non pas sur la formation des opinions mais sur leur transformation en acte, c’est-à-dire le vote. Dès 1939, Georges Gallup, grand popularisateur des études d’opinion et fondateur d’un institut célèbre, évoquait un « effet bandwagon » favorisant le candidat donné en tête. Ainsi le fait d’annoncer par voie de presse que le candidat A l’emportait sur le candidat B dans les intentions de vote découragerait les partisans du second et drainerait les indécis vers le premier. On oppose à cette idée un « effet underdog », l’avantage donné au candidat A étant plus que compensé par une surmobilisation en retour des sympathisants du candidat B. Par exemple, lorsqu’à quelques semaines du référendum sur le traité de Maastricht, en septembre 1992, le « non » avait été donné gagnant, les partisans du « oui » purent dramatiser l’enjeu et finalement l’emporter.
A vrai dire, le débat récurrent à propos de la force relative de ces deux effets est assez vain. En effet, il suppose un effet direct de la lecture des sondages par les citoyens, chose assez rare hors période électorale. Avant d’envisager les effets indirects des sondages, autrement importants, il faut retenir que dans certaines circonstances, notamment à la fin des campagnes électorales, cela peut arriver. Le souvenir du 21 avril 2002 s’impose. Si un ou plusieurs instituts de sondage avaient alors annoncer que Jean-Marie Le Pen serait au second tour, cela aurait très probablement provoqué un retour des électeurs de gauche dispersés vers le candidat principal de leur camp, Lionel Jospin. Il en aurait d’ailleurs résulté que les sondages auraient été démentis, puisque ces mouvements se seraient produits en toute fin de course. La plupart du temps, cependant, les électeurs se servent des sondages dont ils ont connaissance de manière simple et logique : cela s’appelle le vote utile. Il s’agit donc de concentrer les votes sur le représentant de sa mouvance le mieux placée. Cela joue donc au sein d’un même univers idéologique, ce qui est particulièrement net lors des primaires partisanes, mais très peu fréquent entre candidats de sensibilité vraiment différente.
Pourtant, ce n’est pas en fin de compétition électorale que les sondages publiés jouent leur rôle principal mais bien avant, à l’orée de la campagne, lorsque se définit l’offre qui sera présentée aux citoyens. En d’autres termes, le poids des intentions de vote sur la vie politique n’est jamais aussi grand que lorsque celles-ci sont le moins assurées. Prenons des cas concrets. En 2016, si François Hollande a renoncé à tenter sa réélection, c’est largement parce que lui-même et plus encore son entourage étaient démoraliser par des sondages indiquant que sa victoire n’était nullement assurée face à Marine Le Pen. Inversement, en 2021, les bons chiffres de celle-ci dans les derniers sondages, plus d’un quart des intentions de vote exprimés au premier tour, ont découragé les velléités de plusieurs concurrents professant des idées assez proches mais crédités de faibles scores. On peut même aller plus loin : si la pression unitaire à gauche ne s’impose pas, pour le moment du moins, cela ne tient pas seulement à des différences programmatiques réelles mais aussi à ce que les sondages testant un candidat unique pour la gauche et les écologistes n’indiquent pas qu’il serait qualifié pour le second tour.
Il est donc acquis que le tri entre les candidatures potentielles se fait largement au vu des sondages réalisés, et dont certains demeurent naturellement confidentiels. Ceci nous amène à évoquer, au sujet de l’effet politique des sondages d’intentions de vote, non seulement leur temporalité mais aussi la sociologie de leurs publics. Les résultats d’un sondage pèsent sur le moral du candidat, l’allant de son entourage, la fidélité de ses partisans, la bonne volonté des financiers et, ce qui est essentiel, le comportement des journalistes. Sur ces différents plans, la force de l’effet « bandwagon » est indéniable.
L’effet d’entrainement de bons sondages sur une candidature relève de l’évidence, du moins si l’on songe à son impact indirect. Ils peuvent assurément susciter et entretenir une dynamique. Est-ce un mal ? Dans la mesure où les sondages demeurent le reflet d’un état de l’opinion à un moment donné et accèdent ainsi au statut d’information, il n’y a pas lieu d’exprimer un jugement de valeur à leur sujet.