Interview de Jérôme Sainte-Marie, réalisée par Albert Zennou et publiée le 15 mars 2018 par Le Figaro


LE FIGARO – Le poids des retraités pèse sur les élections, notamment. Forment-ils un bloc homogène ?

Jérôme SAINTE-MARIE – Les retraités en France forment un groupe social massif, impliqué électoralement, et unifié par son statut. Tout d’abord, il s’agit d’une population en croissance régulière, qui représente à peu près seize millions de personnes aujourd’hui. Donc, puisque la France compte 46 millions de personnes inscrites sur les listes électorales, et que les retraités le sont presque tous, un électeur potentiel sur trois est aujourd’hui un retraité. Or, la participation électorale varie sensiblement avec l’âge. Si 80% des inscrits ont voté le 23 avril dernier, pour le premier tour de la présidentielle, ce fut le cas de 88% des Français de plus de 70 ans, et de 84% des Français âgés de 60 à 69 ans. Autant dire que le poids politique des retraités est encore plus grand que leur poids démographique. Or, être retraité est un statut qui tend à homogénéiser les comportements électoraux. Traditionnellement, les seniors ont souvent voté plutôt pour la droite. Devenir retraité, c’est, dans notre système par répartition, dépendre chaque mois du travail des actifs pour le versement de sa pension. Ceci produit un effet interclassiste : quelle que soit sa situation professionnelle d’origine, tout retraité est placé dans la situation d’un actionnaire par rapport à une entreprise, en l’espèce l’économie française. C’est pourquoi les retraités sont bien plus que les autres favorables aux réformes libérales, notamment en matière de droit du travail. Ils savent que de la productivité des actifs dépend largement la pérennité du système des retraites. Cela les rend à la fois libéraux, et prudents. Par exemple, l’aventure monétaire que représenterait une sortie de l’euro déplait aux retraités. Seuls 14% d’entre eux, selon l’institut Ipsos, ont voté l’année dernière pour Marine Le Pen et 12% pour Jean-Luc Mélenchon, soit, à eux deux, le score des retraités ayant choisi Emmanuel Macron, 26%. On a ensuite constaté une certaine bienveillance des retraités à l’égard du pouvoir, notamment à la fin de l’année 2017, après l’aboutissement sans heurt de la réforme du code du travail.

La CSG sur les retraites peut-elle faire revenir les retraités passés à gauche ?

On considère généralement que l’âge fait pencher vers des positions plus conservatrices. Ce préjugé est assez contestable, surtout lorsque, comme aujourd’hui, à peu près tous ceux qui avaient moins de 30 ans en 1968 sont à la retraite. Ceux-là étaient disponibles pour une offre politique qui aurait combiné un certain libéralisme dans les domaines de l’économie et des mœurs. Telle fut la proposition d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. Cependant, une bonne partie des électeurs âgés lui ont préféré François Fillon : 36% des retraités, et, si l’on s’intéresse uniquement à ceux ayant plus de 70 ans, 45%. Il ne s’agit pas que de valeurs morales, souvent liées au catholicisme. On trouve aussi dans leur choix électoral un puissant facteur économique : la place du patrimoine immobilier, capital fixe dont la défense était davantage identifiée à François Fillon qu’à Emmanuel Macron. La réforme de l’ISF a d’ailleurs confirmé cette impression. L’augmentation de la CSG, directement lisible par ceux qui en pâtissent, a entrainé depuis le début de l’année un flottement certain, mais les retraités demeurent plutôt mieux disposés que la moyenne à l’égard de l’exécutif.

Après le président des riches et des métropoles, Macron risque-t-il d’être affublé du titre de président des jeunes ?

Emmanuel Macron est un président jeune, il n’est pas du tout le président des jeunes. En 2017, plus on était jeune, moins on votait Macron. Une amélioration sur le front du chômage pourrait-elle lui rallier les jeunes actifs ? Cela dépendra de la nature des emplois qui auront été créés. De toute manière, Emmanuel Macron a besoin de maintenir et d’accroître son emprise sur les retraités pour consolider sa base électorale. Elu par 24% des électeurs du premier tour, le second étant imperdable, il ne peut se contenter de séduire les cadres, les chefs d’entreprise et les habitants des métropoles mondialisées. Il lui faut arrimer aux vainqueurs évidents de la lutte économique une population plus large. Les retraités, en ceci qu’ils redoutent une dislocation du système, peuvent voir en lui le meilleur garant de sa conservation. Là se joue selon moi la continuation de son pouvoir au-delà de 2022.