Interview de Jérôme Sainte-Marie, réalisée par Soazig Quéméner et publiée par
Marianne le 24 août 2018.


MARIANNE – Emmanuel Macron entend à nouveau multiplier les annonces de réformes. Cela suffira-t-il à sauver cette nouvelle rentrée délicate ?

Jérôme SAINTE-MARIE –C’est la meilleure solution pour lui. Emmanuel Macron détient un contrat de chantier. Il a fondé dès le départ une majorité de projet sur la promesse de réaliser toutes les réformes libérales que les différentes majorités de gauche et de droite avaient échoué à mener à leur terme. C’est sur cette reconnaissance idéologique que se fonde sa base politique dans l’opinion, qui représente environ un tiers de la population. Chaque réforme peut le renforcer en suscitant des antagonismes. Par exemple, à l’occasion de la réforme de la SNCF, il s’est opposé particulièrement à la CGT, ce qui par ricochet a provoqué un phénomène d’identification d’une bonne partie des sympathisants de droite autour de lui. Avec toutefois une question de long terme : cette dynamique va ralentir au fur et à mesure qu’il n’y aura plus grand-chose à libéraliser …

Assurance-chômage, retraites… les dossiers qui s’annoncent sont de plus longue haleine que la réforme du code du travail par ordonnances… 

Se pose un double problème pour Emmanuel Macron en cette rentrée. D’une part, on va commencer à lui demander des résultats, notamment en termes de pouvoir d’achat et d’emploi, ce qui n’était pas le cas l’année dernière. A la rentrée 2017, les gens considéraient qu’il fallait lui laisser du temps. Ils voulaient juste avoir l’impression qu’il savait où il allait. Un an plus tard, les Français se demandent ce que la politique de Macron leur rapporte, quelle est son efficacité. Ensuite, l’injustice ressentie de sa politique pouvait être considérée par certains comme nécessaire, pour qu’il y ait croissance. C’est la théorie du ruissellement. Mais on peut avoir le réveil à l’occasion notamment de cette réforme des retraites, d’un sentiment d’injustice sans justification économique évidente, ce qui est politiquement dévastateur. Sans compter que, comme Sarkozy, des éléments d’image forts se sont installés lors de cette première année de pouvoir.

Avec un mois de recul, comment évaluez-vous l’impact de l’affaire Benalla ? 

L’affaire Benalla a eu un impact négatif notamment à droite. Aujourd’hui, les sympathisants de droite ont une vision utilitariste d’Emmanuel Macron : ils se disent qu’il fait le travail que même Sarkozy n’avait pas réalisé en matière de réformes. Mais l’adhésion n’est pas là car ce n’est pas quelqu’un qui est de leur univers notamment d’un point de vue culturel. Le risque pour la droite profonde était que peu à peu ce lien se noue. Or à l’occasion de l’affaire Benalla, on a découvert quelqu’un qui n’est pas très libéral en matière politique, qui centralise le pouvoir et qui plus encore opère une forme de privatisation de sa fonction et détourne les institutions au profit d’une coterie. Et cela a révélé, tout comme l’affaire de Villiers l’été précédent, la difficulté Emmanuel Macron dans sa relation aux corps auxquels sont tant attachés les électeurs de droite : l’armée, la gendarmerie et la police. Cela a donc freiné le basculement des sympathisants de droite et du centre d’une forme de reconnaissance à l’égard de Emmanuel Macron vers une adhésion qui aurait pu aller jusqu’à un remplacement de LR et de l’UDI par La République en Marche. Cette affaire redonne de l’oxygène à la droite et au centre.

Pour les Européennes, Jean-Pierre Raffarin a indiqué que l’alliance de LREM avec les juppéistes n’était pas acquise. N’est-ce pas une très mauvaise nouvelle pour le président ? 

Bien sûr : les propos de Jean-Pierre Raffarin sont entendus par les élus. Ces élections européennes auront un rôle de signal : elles viennent juste avant des municipales qui devaient permettre à LREM de s’ancrer dans le paysage politique. Un mauvais score aurait chez les élus et les élus locaux des conséquences assez graves pour le parti de Macron : ils hésiteraient davantage à se jeter dans les bras de la République en marche pour demander l’investiture pour les municipales.

Emmanuel Macron n’entend pas laisser le déficit filer, malgré la réduction de la croissance. N’est-ce pas à même de rassurer l’électorat de la droite et du centre ? 

Pour la plupart des gens, une bonne politique est une politique qui leur profite. S’il s’agit de réduire les effectifs de fonctionnaires, cela hérissera la gauche et cela ne déplaira pas à la droite. Si cette politique de rigueur budgétaire a des conséquences négatives sur la croissance ou la fiscalité, cela peut susciter chez tous un certain mécontentement. Cette rigueur budgétaire est souvent interprétée comme une rigueur imposée par l’Europe. Dans la perspective des élections européennes, cela peut surtout donner de l’élan aux forces souverainistes.

Alors que les difficultés s’accumulent, n’y a-t-il pas urgence pour Macron à structurer davantage son entourage politique ? 

Depuis le départ, Macron a des soutiens qui représentent les intérêts dominants de la société, c’est la base réelle de son ascension. Il n’a jamais cherché à s’entourer de gens particulièrement forts. Ce qu’il cherche, ce sont des fidèles. Si l’on ose dire, il crée sa propre noblesse. Contrôlant l’Etat, ayant des soutiens puissants dans la société et un projet qui est très facilement identifié par les catégories auxquelles il s’adresse et qui composent le bloc élitaire, pourquoi éprouverait-il le besoin de restructurer les choses ?