Tribune de Jérôme Sainte-Marie – Transmise le lundi 12 juin 2017 au Figaro Vox


A quelques jours du premier tour, l’attention se porte naturellement sur l’ensemble des facteurs pouvant affecter le vote, et éventuellement créer une différence entre les  résultats réels et les derniers niveaux qui seront mesurés par les instituts de sondage. La fermeté du choix des citoyens est largement analysée, tout comme la sociologie et l’orientation idéologique de ce vaste et hétéroclite ensemble des indécis. De même, les différentiels d’abstention entre les électorats potentiels constituent un enjeu décisif. Ses facteurs traditionnels sont  bien connus, qu’il s’agisse de l’âge ou du milieu socio-professionnel : à grands traits, les jeunes et les personnes appartenant aux catégories populaires s’abstiennent davantage. Il existe pourtant un autre facteur déterminant de la participation électorale, largement oublié, qui n’est autre que la distance entre le lieu où l’on réside et celui où l’on est inscrit sur les listes électorales. A partir de là, se définit la notion de « mal-inscription », phénomène qui déclenche certains effets politiques.

Il apparaît en effet que sept millions de Français sont inscrits dans une autre commune que celle où ils résident effectivement. Ceci implique que le 23 avril prochain ils auront à effectuer un déplacement parfois long et coûteux, à moins qu’ils n’aient fait procuration de leur vote. Dans les deux cas, il s’agit d’une démarche supposant une certaine motivation pour effectuer son devoir électoral, et qui prend du temps. Il en résulte une exposition à l’abstention qui étonne par son niveau, puisque d’après les travaux menés à partir des scrutins de 2012, la mal-inscription multiplie par trois le risque de ne pas aller voter (Céline Braconnier et alii, 2016).

La mal-inscription étant dans la plupart des cas un effet non désiré de la mobilité résidentielle, elle affecte nombre d’étudiants et de jeunes actifs, et relativement peu les retraités. Il est plus rare qu’elle découle d’un choix volontaire, par exemple l’envie de voter là où se situe sa résidence secondaire, là où se trouve sa famille, ou bien là où les enjeux électoraux sont les plus forts. Mais c’est beaucoup plus rare. Dès lors, elle ne joue pas de manière aussi simple que ne le fait l’abstention ou bien la non-inscription, lesquelles fonctionnent comme de véritables tamis sociaux écartant de l’exercice du suffrage les catégories les plus vulnérables de la société.

Quels candidats sont les plus menacés par ce phénomène de mal-inscription ? Poser cette question revient à évaluer un phénomène largement masqué, dans la mesure où ne pas être inscrit dans sa commune obère la propension à aller voter sans que cela soit pris en compte dans la mesure des intentions de votes. La question de lieu du vote par rapport à celui de la résidence principale ayant été posée par l’institut BVA dans le cadre de sa dernière enquête électorale, il est possible de s’en faire une idée générale.

Par sa relative jeunesse comme par le caractère relativement élitaire de sa sociologie, le vote en faveur d’Emmanuel Macron est logiquement affecté par la mal-inscription. Si son score est de 23% auprès de l’ensemble des Français, il atteint 40% parmi les électeurs disant être inscrits dans une commune éloignée de celle où ils habitent.  A l’inverse, Marine Le Pen réalise dans cette population éloignée de son bureau de vote un résultat inférieur à son score moyen : 16% au lieu de 22%. Ce qui parait constituer pour elle un avantage. L’enracinement des électeurs de l’une par rapport à la la mobilité de ceux de l’autre y trouve une nouvelle illustration. Ce phénomène de mal inscription est relativement neutre sur l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, par ailleurs très exposé au risque de l’abstention par sa structure d’âge et sa composition sociologique, et sur celui de François Fillon, lequel dispose d’un socle à cet égard plutôt participationniste.

Ainsi, pour les principaux candidats, dans leurs ultimes efforts pour motiver leurs électeurs potentiels, la « mal-inscription » représente une contrainte dont l’importance pourrait être grande dans le contexte particulier de ce scrutin, où la qualification pour le second tour pourrait se jouer à peu de suffrages.


Jean-Yves Dormagen, professeur de science-politique à l’Université de Montpellier et co-directeur avec Céline Braconnier de la Chaire citoyenneté de l’IEP de Saint-Germain en Laye.