Interview de Jérôme Sainte-Marie, réalisée par Corinne Lhaïk et publiée par
L’Express le 31 août 2018.


L’EXPRESS – Emmanuel Macron est-il devenu un président normal ?

Jérôme SAINTE-MARIE – Oui, parce qu’il doit diriger le pays avec cette impopularité massive qui frappe tout président français depuis une vingtaine d’années. Emmanuel Macron voulait s’appuyer sur ces deux Français sur trois que Valéry Giscard d’Estaing, avant lui, a rêvé de réunir. Un temps, il a progressé vers cet objectif, réussissant à élargir sa base électorale, ces 24 % qui ont voté pour lui au premier tour de la présidentielle. Par la composition de son gouvernement, ses premières mesures, son charisme personnel, il était même devenu majoritairement populaire. Le reflux entamé à partir du printemps, notamment dans l’électorat de droite, s’est précipité durant l’été.

Pourquoi ?

Cela tient sans doute à une contradiction interne au macronisme. Une partie de la droite le soutient par nécessité plutôt que par une adhésion culturelle franche et massive. Il n’appartient pas à la droite car il incarne un libéralisme culturel qui a toujours provoqué les réticences des électeurs de François Fillon. Mais ceux-ci ont considéré que Macron faisait le travail promis par le candidat de la droite en matière de réformes sociales, qu’il avait passé une sorte de contrat de chantier avec eux. Cette solidarité ne tient que tant qu’il y a des combats à mener. Après la victoire éclatante de Macron sur le front social,ces électeurs de droite se sont sentis moins obligés de soutenir quelqu’un qui ne leur ressemble guère.

Macron est-il condamné à l’impopularité ?

Un retour des conflits sociaux pourrait remobiliser cet électorat en sa faveur. Le chef de l’Etat a déjà connu une remontée de popularité. Elle avait chuté à 40 % l’été dernier (sondage Ifop pour Le Journal du dimanche) pour remonter à 52 % en décembre 2017. C’est très rare : il y a eu une sorte depetit miracle macronien, Hollande, lui ne s’était jamais remis d’un premier été difficile.

Mais Emmanuel Macron a rechuté à 34 % (sondage JDD-Ifop publié le 26 août). Pour remonter à nouveau, il lui faut un agenda gouvernemental très dense, avec des conflits et des victoires faciles à remporter. Comme ce fut le cas après la présidentielle. Grâce à un travail idéologique et à une excellente communication politique, il a su mettre en scène un clivage  toujours polémique, sous des vocables différents : les anciens et les modernes, les conservateurs et les réformateurs, les nationalistes et les progressistes, etc. La base sociologique du président étant assez resserrée, notamment sur les cadres supérieurs, c’est par l’action qu’il peut l’élargir dans les prochains mois. Surtout en se faisant le héraut de l’intégration européenne. Ce n’est d’ailleurs pas une construction artificielle,  mais bien la vérité de son projet.

Dans quel électorat peut-il le plus perdre ?

Le macronisme s’appuie sur un bloc élitaire formé de trois catégories : les gens réellement dominants, les vraies élites ; ceux qui aspirent à en faire partie, particulièrement les cadres supérieurs ; et enfin, ceux qui se disent qu’il vaut mieux être dirigé par l’élite, comme le pensent beaucoup de retraités. Ces derniers se savent dans une position économiquement dépendante et veulent que la machine tourne, car le financement de leurs retraites en dépend. Ils ont voté à 26 % pour Macron au premier tour, ce qui est un score important compte tenu de la concurrence de François Fillon. Les récentes annonces d’Edouard Philippe (Le Journaldu dimanchedu 26 août) sur la revalorisation partielle des retraites risquent de les décevoir et les prochains sondages s’en ressentiront. La mesure n’est pas forcément critiquable en termes de justice sociale, mais elle est politiquement coûteuse.

La démission de Hulot, que dit-elle de Macron ?

Que son charisme est très surestimé. Il a mis en scène son attractivité personnelle, il a voulu montrer que son dynamisme personnel lui permet de réussir là où d’autres échouent. Il l’a tenté avec Donald Trump, avec un effet boomerang. De même les bonnes relations affichées avec Vladimir Poutine n’ont pas eu de résultats. Hulot, il a été le premier à le séduire, mais il n’a pas pu le retenir. Cette stratégie narcissique montre ses limites. L’affaire Benalla a par ailleurs montré la fragilité du dispositif macronien et peut être également celle personnelle de Macron. Son comportement à cette occasion a inquiété, je pense surtout aux élus de droite et de gauche qui pouvaient être tentés par un ralliement à la République en Marche pour les municipales. Ces crises estivales les auront plutôt incités à suspendre leur décision.

Cette démission signe aussi l’échec du « En même temps » ? 

En politique, le « en même temps » de droite et de gauche fonctionne.  Je ne considère pas que Macron soit un président de gauche. Je ne considère pas non plus qu’il soit de droite. Le projet macronien demeure et transcende le clivage droite-gauche. Mais le « en même temps » programmatique, l’opinion y croit moins. La défense des intérêts de l’entreprise, de la croissance économique, etc, lui semble moins compatible avec la justice sociale et la protection de l’environnement. D’autant qu’un phénomène nouveau apparaît depuis la fin de l’été : les Français commencent à demander des résultats. Jusqu’à présent, ils laissaient du temps au président. Désormais, ils réclament que le chômage recule, que leurs impôts s’allègent, voire que les salaires augmentent.

Laurent Wauquiez a déjà brandi cet argument des résultats …

Absolument. Et son analyse est juste. Il ne peut pas attaquer Macron comme le font Le Pen ou Mélenchon. Son électorat ne le comprendrait pas, puisque Macron applique en bonne partie, en matière économique, un programme qui aurait été celui de la droite au pouvoir. Lors de son discours de rentrée au Mont Mézenc il s’interroge sur les résultats. Et il va puiser des éléments idéologiques pour contrer le libéralisme culturel de Macron sur les questions migratoires et identitaires. Son pari c’est que le libéralisme économique n’entraîne pas forcément le libéralisme culturel, que la fidélité à l’Europe n’entraine pas forcément la disparition du thème national. Il y a une forme de déception à l’égard du macronisme qu’il peut espérer politiser à son profit. Prenons par exemple les retraités, vaste catégorie, ils ne vont pas aller chercher du côté du Rassemblement national (RN, ex-FN) ou de la France insoumise (LFI) pour défendre leur pouvoir d’achat, mais pourraient de nouveau s’intéresser au discours des Républicains.

Wauquiez est-il le chef de l’opposition ?

Il n’y a plus de chef de l’opposition parce que qu’il n’y a plus une opposition, mais plusieurs, antagonistes. On peut parler d’une quadripartition de la carte politique, où l’ancienne division entre la droite et la gauche coexiste avec la nouvelle, dominante, entre populisme et européisme. Wauquiez a compris qu’il lui fallait introduire des éléments de populisme. A l’inverse, Jean-Luc Mélenchon prend ses distances avec le populisme et ce faisant, il commet une erreur d’analyse. Il veut devenir le chef d’une gauche reconstituée. Il considère que le coût d’une ligne populiste est exorbitant, qu’il y perdrait une bonne partie de ses militants, qu’il y perdrait aussi son groupe parlementaire, tous attachés à des positions gauchisantes sur différents sujets de société, tels que l’Université, la famille ou l’immigration. Du coup, son discours c’est : « bravo à l’Aquarius », alors même que la moitié des sympathisants LFI ont approuvé, cet été, la décision de Macron de ne pas ouvrir les ports à ce bateau transportant des migrants. D’un point de vue idéologique, Laurent Wauquiez prend un risque rationnel, Jean-Luc Mélenchon recherche un confort illusoire.

Comment situez-vous Marine Le Pen ?

C’est le géant endormi de la vie politique française. Elle a été peu présente durant l’année écoulée. Les rares sondages faits pour la prochaine présidentielle, même si, à ce stade, il faut les regarder avec prudence, montrent qu’elle peut rebondir. Son parti devrait bénéficier de votes importants lors des prochains scrutins, tant les thèmes qui l’ont construit demeurent prioritaires dans l’opinion. Et ce d’autant plus qu’il n’a pas de concurrence. Laurent Wauquiez n’a pas encore reconquis l’assise populaire que la droite a abandonnée depuis Nicolas Sarkozy. Et Jean-Luc Mélenchon déclare forfait sur le registre populiste, et les attentes populaires qui lui correspondent. En outre, le point faible du RN, la crédibilité économique, n’est pas trop pénalisant dans une élection européenne. Et dernier atout, il bénéficie du souffle populiste en Europe. Le courant idéologique massif, c’est le retour des nations et le refus de l’immigration. Le cas italien est éclairant pour Le Pen : trois Italiens sur quatre apportent leur soutien à Salvini. Et ce pays ressemble politiquement à la France bien davantage que l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Via la question européenne, qui gênera LR et LFI, Marine Le Pen peut opérer un jeu de miroir avec Macron. Ce sera le refus global de l’Europe versus le Tout Europe.

L’alternative à Macron est-elle forcément populiste ?

Non, parce que le populisme à l’état brut n’existe plus que dans les rangs du Front national. Et cela l’isole en termes de crédibilité. Deux issues apparaissent les plus probables pour ce quinquennat. Soit Macron se succède à lui-même en s’appuyant sur une alliance cohérente de milieux sociaux liés par un choix européen assumé. Il ne pourra certes pas parvenir au fameux deux Français sur trois, mais s’il consolide un bloc de 33 %, ce ne sera déjà pas si mal. Soit la droite parvient à conjuguer libéralisme économique et combat identitaire, comme ailleurs en Europe, et alors elle peut espérer retrouver l’attention d’une partie des catégories populaires qui l’ont abandonné. Ce serait une droite Wauquiez et non une droite Pécresse. Cela peut former un bloc social plus important que le bloc élitaire de Macron. C’est pourquoi, à ce stade, je pense que Wauquiez est le mieux placé face à Macron.